Épistémè
Veiller sur ceux qui soignent
Le thème de cette table ronde :
Le système de santé français, souvent salué pour la qualité de ses soins et son accessibilité fait face depuis de nombreuses années à une crise profonde.
L’organisation et les conditions de travail dans les établissements sanitaires et médico-sociaux détériorées, notamment, par l’augmentation de la pression sur les ressources, la place donnée à la technicité au détriment de la relation au patient, aboutissent à une forme de déshumanisation du soin.
Cette situation entraîne chez les professionnels du soin, entre autres, un sentiment de perte de sens au travail, une souffrance éthique et psychologique. Ces derniers ressentent un manque de valorisation de leurs compétences. Le secteur de la santé est confronté à une pénurie de personnel, qui a pour effet d’aggraver des conditions de travail décriées.
Comment dans ce contexte parvenir à attirer, recruter et fidéliser ? Quels sont les liens entre conditions de travail, relation au travail et l’emploi, notamment dans les Ehpad pour lesquels les difficultés de recrutement sont multipliés par deux tous les deux ans ? Le bien-être et la qualité de vie au travail ainsi que la prévention des risques psycho-sociaux peuvent-ils être des leviers d’attractivité et de fidélisation des soignants ? La notion même du soin est-elle à questionner, par rapport aux problématiques de reconnaissance et de valorisation des compétences ? Comment les professionnels eux-mêmes se mobilisent-ils pour attirer sur ces métiers en tension ?
Cette table ronde tentera d’apporter à ces questions quelques éclairages scientifiques et des éléments de réponse émanant de terrains professionnels.
Le programme
Replay de la conférence du 6 juin 2024
Climat de sécurité psychosociale et autonomie, leviers de fidélisation chez les soignants ? présenté par Fanny Ardaen-Journeaux (Laboratoire PSITEC)
Le climat de sécurité psychosociale (CSP), qui fait référence « aux politiques, pratiques et procédures de protection de la santé et de la sécurité psychologique des travailleurs » (Dollard & Bakker, 2010, p. 579), contribue à instaurer un environnement de travail sain et sécurisant. Il favorise l’épanouissement et la prévention du stress au travail. En effet, le CSP comprend quatre principes pour être efficace : la reconnaissance et la prise en compte des risques psychosociaux (RPS) par les employeurs ; la participation et l'engagement des employés ; la communication et la transparence ; et enfin, la responsabilité des employeurs (Dollard & McTernan, 2011). Dans le cadre de sa recherche en cours, auprès des soignants, Fanny Ardaen-Journeaux a mené des entretiens qui, jusque-là, ne semblent pas mettre en évidence, un haut niveau de climat de sécurité psychosociale, alors qu’un haut climat de sécurité psychosociale peut jouer un rôle précurseur dans la motivation des employés et des équipes (Hu et al., 2022). Par conséquent, la promotion de la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail) et la prévention des RPS peuvent jouer un rôle clé dans le maintien de la motivation et de l’engagement des soignants. De plus, en favorisant un environnement propice à l’autonomie et à la marge de manœuvre sur la manière d’effectuer son travail, les établissements de santé peuvent encourager le job crafting, démarche proactive et individuelle permettant aux soignants de mieux personnaliser leurs tâches et leurs relations aux autres afin de retrouver du sens dans leur travail.
Considérer le soin comme une relation pour améliorer le quotidien des personnes âgées vulnérables et de leurs aidant.e.s et le contexte professionnel des soignants
présenté par Carla Di Martino et Christine Moroni (Chaire Vulnérâge)
La Chaire Vulnérâge promeut une conception relationnelle du soin, où le soin n’est pas un geste ponctuel et technique (de l’ordre du cure) mais une relation complexe entre la personne âgée, le professionnel de santé et l’aidant formel ou informel. Cette relation est sous l’influence de facteurs individuels et culturels. Ces facteurs sont susceptibles d’avoir un impact sur les acteurs impliqués dans la relation : celle-ci mérite donc d’être appréhendée comme un système dynamique et évolutif. Nous souhaitons promouvoir une approche holistique des soins aux personnes âgées vulnérables, basée conjointement sur leurs besoins spécifiques, sur leur expérience et sur leur évaluation appropriée par les professionnels de la santé et/ou les aidants informels/familiaux. Cette approche s'appuie sur l'analyse de Joan Tronto, qui considère les soins comme un processus impliquant tous les acteurs du soin dans une dynamique relationnelle. Cette dimension relationnelle conduit à apprécier l'importance des aidants et le rôle majeur qu'ils jouent dans le soutien de leurs proches. À un autre niveau, elle invite également à prendre en compte l'influence majeure des éléments contextuels, qu'ils soient socioculturels ou institutionnels, dans l’offre de soins de qualité. Enfin, insister sur la dimension relationnelle des soins implique d'attribuer et reconnaître des compétences spécifiques aux différents intervenants, et de renforcer les liens de coopération et communication interprofessionnelles pour une amélioration des soins des personnes âgées vulnérables ainsi que de l’ambiance de travail des professionnels qui évoluent auprès de ces personnes, que ce soit à domicile ou en contexte médicalisé (EHPAD ou hôpital).
Conditions de travail, bien-être et salaire : approche économique de la qualité de vie au travail des soignants
présenté par Christine Le Clainche (Laboratoire Lem)
L'analyse économique du marché du travail met en évidence plusieurs tendances parfois contradictoires pour prendre en compte le lien pénibilité du travail, conditions de travail, motivations et salaires. Christine Le Clainche mettra en évidence ces tendances pour éclairer le contexte actuel s'agissant du travail des soignants.
La table ronde sera animée par Fabien Willem, animateur et journaliste
L’hôpital MAGNET : recruter et fidéliser collectivement
présenté par Thomas Boraud (Hôpital de Roubaix)
Le centre hospitalier de Roubaix s’est engagé dans une démarche RH innovante visant à impliquer l’ensemble des équipes de l’établissement et les partenaires sociaux pour fidéliser et recruter. Cette stratégie RH offensive, mobilisatrice et innovante, s’appuie sur divers projets et actions. Le projet Magnet tourné vers les questions de recrutement, le projet MANAG UP pour attirer et fidéliser l’encadrement par une politique managériale innovante.
Cette initiative a reçu le grand prix du jury de l’édition 2023 des Prix de l’innovation RH décernés par la Fédération hospitalière de France (FHF), l’Association pour le développement des Ressources Humaines dans les établissements sanitaires et sociaux (adRHess) et la Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH).
Renforcer l’impact RH de la prévention
présenté par Mélusine Harlé (MGEN)
Experte des enjeux de santé et de QVCT des agents des services publics, MGEN propose à la fois des interventions ponctuelles pour répondre à des besoins spécifiques et des programmes complets de prévention à fort impact. MGEN accompagne ainsi les employeurs et notamment ceux de l’hôpital public pour le bien-être des personnels. En effet, les professionnels de santé travaillent dans des environnements stressants et exigeants, ce qui peut influer sur leur santé physique et mentale. La qualité de vie au travail et les conditions de travail sont donc des enjeux majeurs à la fois pour attirer et retenir les talents, et pour favoriser la motivation et l’engagement. MGEN a développé plusieurs dispositifs comme :
- Le partenariat BEST (Bien-être et santé au travail) permet la mise en place de diagnostics, d’interventions, formations et parcours à fort impact, notamment autour des risques psychosociaux, en prévention de l’usure professionnelle, des TMS…
- Les trophées de l’impact RH ont pour ambition de récompenser des établissements de santé qui s’engagent en faveur du bien-être des agents en développant des pratiques innovantes dans le domaine des Ressources Humaines (formation professionnelle, prévention des risques, bien-être au travail…). La remise des Trophées aura lieu le 21 mai 2024, sur le stand FHF lors de SANTEXPO
« Ce n’est pas simplement une histoire d’argent » : une analyse du manque d’attractivité des métiers en EHPAD présenté par Jingyue Xing-Bongioanni (Laboratoire Clersé)
Depuis 2020, Mme Xing-Bongionni a co-dirigé et co-dirige plusieurs enquêtes collectives (projets Collsol-EHPAD, KAPPA) portant sur les conditions de travail et d’emploi dans le secteur des Etablissements d’Hébergements pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Mobilisant les méthodes d'enquête quantitative et qualitative, ses travaux récents montrent que l’épidémie de Covid-19 a souvent constitué un facteur aggravant les conditions de travail en EHPAD, déjà difficiles physiquement et psychologiquement pour les travailleurs en première ligne mais aussi pour les travailleurs souvent « invisibilisés » dans la littérature. En ce qui concerne la gestion de main d’œuvre, la crise sanitaire a également mis en exergue des problématiques plus profondes et structurelles dans le secteur. La prise en compte de l’ensemble des métiers exercés en EHPAD dans le cadre d’une approche comparative a permis de montrer que le vécu subjectif et l’acceptabilité d’un emploi par des travailleurs des EHPAD varient selon leur métier. L’emploi en EHPAD est souvent considéré comme un good job par les agents de service mais comme un bad job pour les infirmiers, la perception des aides-soignants se trouvant à un niveau intermédiaire. Plus globalement, ses travaux mettent en lumière des processus qui s’auto-alimentent dans un cercle vicieux : des conditions de travail difficiles contribuent largement au manque d’attractivité du secteur ; en retour, la pénurie de main d’œuvre a des conséquences concrètes sur les travailleurs en place en participant à l’intensification et à la désorganisation de leur travail. L’enjeu est donc de briser ce cercle vicieux.